Le puits du Maître Ouvrier.
Le boiteux se souvînt que la devise de la carrière était "plaisir maître mot". Fort de ce constat, encouragé par un ciel gris, ce dernier décidait d'aller jouer au carrier solitaire et de tenter de mettre en œuvre une idée qui lui trottait depuis longtemps en tête...
En effet, au vue des infiltrations d'eau en certains endroits (et ce depuis des années pour certaines galeries), la perspective d'un puits à eau avait meublée plus d'une de ses nuits d'insomnies ou il tourne, vire, se retourne, l'esprit traversé par les soucis du quotidien dans lesquels s'entrechoquent les idées de la carrière.
N'étant pas sûr du succès de son entreprise, il fut entendu que ce puits "d'essai" pour commencer (un prototype donc!) serait foré en dehors des sentiers battus, à un endroit ou il ne gênerait ni la visite, ni l'amertume d'un projet avorté.
Entouré de piliers lézardés en mille feuilles verticaux, sous une voute humide et ressemblant à un puzzle de fissures, les premiers coups de houx furent donnés sur un sol au remblai calcifié.
Les premiers coups d'outils...
Le boiteux, sûr de lui, se voyait déjà attaquant la masse de calcaire après avoir aisément retiré les 50/60 cm de remblais de pieds issus des déchets de tailles ancestraux. Les brouettes se succédant, le trou de section carrée s'approfondissant, il devenait très difficile de manier les outils aux longs manches, qui furent très vites remplacés par un taillant et une pelle us au manche inexistant.
La masse s'apparentait à la retraite: plus on croit s'en approcher, et plus elle s'éloigne. 80, 90 cm, 1 mètre... Des pierres à sable (genre grès) par ci (Attention aux dents du taillant si l'on ne veut qu'il devienne comme celles de Chameau...), du remblai par là, la position inconfortable liée aux dimensions étroites du puits, arrosé par de multiples gouttes d'eau à la cadence de chute rapprochée, la masse fut finalement atteinte après 1m30 de recouvrement et deux heures de labeur. Au même titre que le besogneux déclarait "plus que t'en bois, plus qu'elle est forte", on peut désormais dire "plus la galerie est basse, plus le remblai de pied sera épais!" Le marteau piqueur du mécène prît donc le relais.
Le marteau piqueur, juge et partie!
Dans ce genre de travail solitaire, l'esprit s'évade, revient, diverses pensées cohabitent avec quelques souvenirs si lointains dont on se demande comment ces derniers reviennent à ce moment précis. C'est ainsi que le boiteux se mît à rire tout seul lorsque le statut éphémère de Maître Ouvrier du besogneux, vite démasqué, surgît dans le tréfonds de ses souvenirs. C'était décidé, ce puits s'appellerait donc le puits du Maître Ouvrier. Histoire de ne pas oublier cet épisode mémorable d'une vie professionnelle bien remplie pleine de rebondissements.
Le temps de ces distractions, environ 30 cm de masse furent creusées. Nous sommes à 1,60 mètres de profondeur sous le niveau du sol environ après 3h30 de travail. S'en était assez pour pouvoir vérifier si l'eau qui goutte abondamment restera dans ce petit bassin ou poursuivra sa route au travers de ce calcaire dont la texture s'apparente à une éponge. S'il boit autant que gosier pentu, cette aventure aura été vaine, s'il se décide au contraire à retenir l'eau pour nous offrir de magnifiques reflets bleus verts, il ne restera "plus qu'à" poursuivre l'extraction du calcaire sur 2 mètres de profondeur environ...
Un chantier propre qui ne trahit pas la présence de ce nouveau trou dans le sol: be carreful!...
L'estomac dans les talons, le dos en 8, pourri d'eau et de remblai jusqu'au chaussettes, le boiteux n'eut pas besoin de regarder l'heure pour deviner qu'il fallait hélas déjà regagner la surface et le monde qui va avec. Dehors, l'Eté n'est toujours pas arrivé.
JPL, le 24 Juin 2013.